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le bourreau de dieu

« Crois-tu donc que l’Éternité accomplisse des actes passagers, et que la douleur de l’Immortel puisse être une souffrance véritable si elle est fugitive ?

« Depuis le jour de ma Passion, je me suis étendu sur toutes les croix que les hommes ont façonnées. J’ai frissonné de fièvre dans toutes les effigies. Nain de stuc ou géant de marbre, difforme presque toujours et parfois charmant, j’ai senti les clous me pénétrer sans cesse et mes plaies se rouvrir…

« Poupées enluminées du touchant Moyen Âge : Jésus de bois en longue robe, hideux mannequins de plâtre colorié, minuscules figurines pendues aux chapelets… autant de moribonds impérissables, autant d’agonies sans nombre et sans fin…

« Je meurs à travers les temps au faîte de l’église, au calvaire du chemin, dans le fond de l’alcôve… nimbé de l’auréole guillochée ou couronné du diadème de ronces, cloué de quatre ou de trois clous, les bras tournés tantôt vers l’horizon et tantôt vers le ciel, songeur sinistre ou résigné, selon votre caprice.

« Vous n’en savez rien. À votre insu je descends dans vos œuvres pour une eucharistie cachée. Insouciants, vous percez ma chair révoltée, plus exaspérée d’être immobile, et je vous aime de le