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fantômes et fantoches

Le sabotier retoucha l’enflure d’un muscle, puis aiguisa une épine de la couronne. Il aggrava d’une entaille la tristesse du front, la souffrance au coin des yeux, enfin satisfait, il étreignit son œuvre au parfum de résine et coucha le condamné sur la croix.

Trois grands clous neufs tintèrent dans sa main.

À coups de marteau, les paumes du Dieu et ses pieds joints furent percés et rivés au gibet.

L’homme pensa :

On a vite crucifié son roi des juifs ! Après tout, c’était là l’instant le plus douloureux, bien court en vérité… L’humanité fut sauvée à bon compte ! Combien d’autres moururent ainsi, et plus humblement, avec moins de simagrées, sans même avoir de raison pour cela !…

Alors, ayant péniblement relevé l’ensemble contre la muraille, et s’en écartant pour le mieux juger, Christophe s’aperçut que Jésus pleurait : deux larmes brillaient au coin des paupières, et son front laissait couler la sueur de l’angoisse…

Bien sûr il souffrait… les affreux clous le torturaient !… Et le sabotier, ayant regardé les mains et les pieds, vit sur eux les blessures sacrées ruisseler.

Et Christophe entendit parler le Sauveur :

« Mon fils, voilà bientôt vingt siècles que je pleure, vingt siècles que je saigne.