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le bourreau de dieu

coup de ciseau maladroit, Christophe blasphémait son Dieu. Si quelque esprit de perdition l’en avait défié, il aurait bu à la santé de Lucifer sa fiole de liqueur à présent journalière.

Devenu un peu vaniteux, il se mit en tête, « afin de couronner sa carrière », d’exécuter un Sauveur supplicié de proportions humaines, et il le tailla dans un tronc de sapin, car cette essence est la moins coûteuse, et Christophe à l’ivrognerie et à l’impiété joignait l’avarice.

Comme il employait la journée aux productions lucratives, c’est le soir, à la chandelle, ou plus économiquement à la lueur du firmament constellé, qu’il cisela sa statue. De la sorte, il mit un an à la terminer.

Or, il advint qu’elle fut complètement achevée dans la nuit du vendredi saint.

Christophe, l’équilibre incertain et le regard trouble, la contemplait au clair de la lune. Elle était dressée en face de la baie, et semblait en extase devant l’immensité de la campagne où des brouillards simulaient un océan revenu. La seule clarté de l’astre mort prêtait au sapin une pâleur d’agonie, accusait la joue hâve, et creusait la misère des flancs.

À terre, la croix s’étendait munie du repose-pieds, marquée des lettres I. N. R. I., toute prête.