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le bourreau de dieu

tous ces Christs semblables, il ne savait pas en élire un seul pour représenter le Créateur, il n’y voyait plus que les créatures d’un pauvre sculpteur, un peu plus difficiles à réussir que des galoches, et il s’endormait sans prière.

Ce n’est pas cependant qu’il négligeât de confectionner des croix. Au contraire, les étrangers lui en achetaient comme souvenirs de leur excursion, et Christophe, reproduisant sans cesse le même sujet, était parvenu à ciseler des Jésus assez bien constitués et très reconnaissables. Il y peinait toute la journée sans ennui, mais parfois, un peu las, il demandait de nouvelles forces à une bouteille de cet élixir, origine de ses malheurs ; en vieillissant, le sabotier dut y puiser plus souvent, et il vint une époque désastreuse où l’on vit le père Christophe, manquant à tous les offices, ne plus descendre au village que pour se procurer de l’ardeur en flacon.

Un seul buvait autant que lui, un chenapan redouté, capable de tous les crimes, Marcoux, le contrebandier, Marcoux, le braconnier ; et on englobait dans le même mépris l’homme que tous fuyaient et celui qui s’écartait de tous.

Ces deux êtres, qu’un vice honteux unissait pour le dédain public, se haïssaient, l’un convoitant les économies de l’autre, et Christophe ayant deviné les desseins de Marcoux.