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fantômes et fantoches

établi, il voyait devant lui, par une large baie, le rideau vert sombre de la forêt surgi d’un précipice et s’élevant avec majesté jusqu’aux rochers d’une crête. Celle-ci s’abaissait vers la gauche, dévalait brusquement, et le monde apparaissait au-delà comme le fond d’une mer desséchée.

Tous les dimanches, après la messe, le sabotier, épris de montagnes, se promenait au hasard sur la sienne, et, de temps en temps, lorsqu’après une pluie, le ciel devenait limpide, il gravissait le cône glissant, couvert de gazon roux, qui dominait toute la contrée. Un vent violent soufflait sans trêve au faîte du mamelon. Quand des voyageurs ne s’y trouvaient pas, il y régnait un silence surnaturel, et la bise sifflait alors aux oreilles d’étranges histoires. Seules, les sauterelles rouges troublaient le calme en décrivant leurs paraboles stridentes ; et parfois, des aigles, en quête de proie, y tournoyaient.

Christophe vénérait ce lieu, et si, par delà l’espace sillonné de rivières argentées, gemmé de lacs bleus, tourmenté de croupes et de pics, il apercevait le géant de neige brillant au soleil, comme d’un or qui serait blanc, un émoi mystique le faisait encore tressaillir, et il croyait le ciel plus près de lui. Mais, revenu dans son atelier, toute velléité de foi s’évanouissait, et, en présence de