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fantômes et fantoches

Pendant ses loisirs, il s’exerçait aussi à sculpter dans les déchets de sabots, des Christs moins grossiers que sa première œuvre, voulant retrouver le plaisir singulièrement délicat qu’il avait éprouvé lors de cette création. Il pénétrait dans toutes les chapelles du chemin et s’évertuait à copier de son mieux les modèles sans nombre qui les ornaient. Malheureusement, la méditation y perdait ce dont l’art profitait. Bientôt Christophe vendit autant de croix que de paires de sabots, mais il portait plus de Christs sur le dos que dans le cœur et justifiait son beau nom tout de travers.

Un soir, après bien des voyages, le sabotier arriva dans un hameau construit au flanc d’une haute montagne. C’étaient les dernières habitations que les bûcherons rencontraient en allant travailler, et, derrière elles, montaient à perte de vue les grandes forêts de pins.

On découvrait de là un espace immense et imposant. D’abord, au pied du mont, une grande plaine s’étendait, elle était fertile et verte, un fleuve vigoureux y miroitait ; puis l’horizon se fermait par une succession de chaînes montagneuses, pareille à une suite formidable de vagues figées, les plus proches étaient noires et dentelées, et les dernières, très-loin, se teignaient de bleu et offraient des