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le bourreau de dieu

C’est lui qui naguère confectionnait à l’usage des moines ces chaussures d’hiver, et il ne put s’empêcher d’en modifier pieusement la forme, afin que les profanes n’eussent point aux pieds des galoches aussi pointues que celles des religieux.

Ayant terminé son œuvre, il équarrit deux rognures d’érable inutilisées, les croisa, et cloua sur ce crucifix un autre morceau de bois dont mille coups de couteau avaient fait un petit avorton de bon Dieu, confus, déjeté, monstrueux ; et alors, il lui parut que le Seigneur venait le rejoindre parmi la dissolution des cités ; car, depuis son bannissement, Christophe priait dans le vide, et son oraison, sans but, manquait de ferveur.

Un marchand avait donc remplacé le mendiant. Il s’installait dans un bourg, prenait les commandes, les exécutait, puis repartait vers d’autres bourgs, plus riche de quelques sous à chaque nouveau départ. D’un naturel studieux, il employait ses repos à lire, au hasard de ses logements, les livres qu’il y rencontrait. Souvent, la nécessité l’obligeait de partir avant d’avoir achevé la lecture du volume, et son savoir était un mélange bizarre de souvenirs où s’emmélaient des bribes du Parfait Vétérinaire, plusieurs chapitres de l’Histoire de la Révolution française, et tout le fatras cabalistique d’un Traité d’Envoûtement.