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le bourreau de dieu

sons odorantes, il avait plongé son regard dans les vallées, mesuré de l’œil les montagnes lointaines. Il ne reconnaissait plus rien. Habitué à considérer ce paysage comme le décor immuable de ses sorties, comme la fresque peinte aux murs d’un promenoir, voilà qu’il était forcé de marcher parmi cette toile, de s’éloigner à travers ce tableau !… Était-ce possible ?

Poussé par un sentiment nouveau, Christophe parcourut lentement les bois et les prés voisins du cloître, et il s’aperçut qu’il les aimait tendrement. Tout surpris de ses actes, les yeux humides, il embrassa des arbres fort communs et couvrit de baisers de petites fleurs très ordinaires. Le passé, jusqu’ici, n’avait pas existé pour lui, chacun de ses jours étant comme la veille ; et quelque chose d’infiniment doux : le souvenir, naissait dans son cœur.

Il sentit l’angoisse des séparations gonfler sa gorge, se laissa tomber sur la mousse, et sanglota très longtemps, apitoyé de sa douleur et pleurant sur ses larmes.

Quand il se releva, la nuit emplissait déjà les vallons et montait vers les cimes comme une marée de ténèbres. Une à une, les étoiles perlaient.

Une cloche tinta le dîner des religieux. Christophe avait faim. Les paroles du prieur résonnè-