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fantômes et fantoches

postulant trébucha dès la porte et s’avança vers le vieillard en chancelant, puis il se mit à exposer sa demande, mais les syllabes s’embrouillaient sans merci, et ce bégaiement inextricable semblait sortir d’une bouteille d’élixir, tant il exhalait de parfums montagnards.

Le malheur voulut que le prieur comprit tout de même le sens du discours. Il aurait peut-être pardonné l’ivresse, pour une fois, mais il n’admit pas qu’un tel vice s’attachât à profaner les sublimes pensées. Dans le langage de Christophe, il discerna une suite de blasphèmes suggérés par la démence et, sans dire un mot, il conduisit le pauvre saint ivrogne jusqu’à la porte du couvent paternel.

Là, il lui donna une petite bourse, et, lui montrant d’un grand geste le désert superbe des forêts, des plateaux et des pies, il lui dit :

— Allez, libertin ! Allez assouvir au sein des villes corrompues vos tristes appétits. Vous êtes indigne de votre nom. C’est Noé qu’il fallait vous baptiser ! Allez, je vous chasse !… Voilà ma punition d’avoir enfreint la Règle en vous accueillant ici !

Et il laissa Christophe, dégrisé, tout seul, au pied du monastère à jamais fermé.

L’exilé regardait avec terreur l’étendue de sapins et de rochers. Bien souvent, au cours des mois-