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fantômes et fantoches

Car elle souriait sans trêve, comme ses fleurs comme tout le décor de ses jours, comme tout le Japon, sourire du monde si la Chine en est la grimace.

Un soir de ce printemps-là, suivant sa coutume, Murasaki errait lentement à travers son peuple multicolore afin de lui souhaiter bonne nuit.

C’était l’instant équivoque où le soleil couchant peut voir scintiller les premières étoiles, tandis que les cigognes attardées s’effarent à la vision des chouettes et des chauves-souris.

L’universelle teinte rose devenait de l’or sombre.

Et Murasaki glissait, silencieuse et sans pensée, entre les buissons des fleurs aimées, goûtant, inconsciente, le bonheur d’en étre entourée et de leur ressembler. À vivre au milieu d’un bouquet, son corps avait pris une souplesse de tige, et sa jolie tête, sous le poids des coques percées de longues épingles, pouvait suggérer l’idée de quelque étrange fleur aux pistils élancés et rayonnants. Toutefois, il eût fallu, pour découvrir cela, les yeux de quelque amoureux — car les amants prompts à l’extase, sont amateurs d’images recherchées, le fussent-elles jusqu’à l’affectation — et personne ne l’avait jamais songé, hormis