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tokutaro et murasaki

il était le premier de sa race à divaguer ainsi ; c’est pourquoi son âme était extraordinaire.

Le Japon n’avait pas encore rêvé, du moins avec fruit. Comme artistes, il n’avait engendré que des peintres et non des chanteurs, des miroirs et pas d’échos ; et dans ce jardin merveilleux, qui pourtant est aussi une merveilleuse volière, nul poème ne venait du fond des siècles secouer les enfants du frisson des ancêtres et le réveiller d’âge en âge.

Or, le chevalier Tokutaro, content d’admirer les beautés présentes du chemin, était plus satisfait encore de voir dans sa mémoire les splendeurs de la route parcourue, et à travers ses pressentiments la magnificence des étapes futures ;

Et tantôt il écrivait ses folies, et tantôt il les chantait au son du shamisen en se dirigeant vers le Fusi-Yama.

Mais il avait beau être croyant, maître de soi, intrépide, frugal et pudique, il était en vain robuste et par-dessus tout cela poète, jamais il ne devait atteindre la Montagne Sacrée parce que, entre elle et lui, obstacle fragile et bénévole, fleurissait le jardin de Murasaki.