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fantômes et fantoches

— Que les champs seront beaux quand sur eux flotteront, dentelles de papier gardiennes des moissons et protectrices des âmes, les gohéis !… Que les pruniers lourds de fruits revêtiront de puissants aspects de fécondité… et combien alors deviendra douce la souvenance de leurs corolles !…

Et comme cela prenait une tournure très spécieuse, Tokutaro admira l’ingéniosité de son imagination.

À l’ombre d’un petit arbre tordu comme un éclair et couvert de sa neige embaumée, il ouvrit son bissac — il l’ouvrait souvent — et sous son pinceau une feuille de papier bistre se noircit de signes en colonnes, et chaque signe avait l’air d’une araignée compliquée. Voilà fixée en langage mesuré une évocation des ères d’autrefois et des jours à venir.

Il y avait dans le bissac de Tokutaro bien des feuilles bistre noircies de la sorte, mais, ce manuscrit, il était décidé à le garder pour lui seul, comme s’il avait deviné tout ce qu’il faut de génie pour comprendre un peu d’intelligence.

Et ces haltes, fréquentes, étaient courtes ; car il n’avait vu nulle part exprimées des inventions semblables aux siennes, et elles le satisfaisaient tout de suite. Cet écrivain de songes scandés n’avait pu lire que de longues épopées barbares,