Page:Renard - Fantômes et fantoches, 1905.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
tokutaro et murasaki

autour de lui. Par delà ce rond, derrière et devant, rien n’existait plus et rien n’existait encore. Il s’avançait à la façon de Çakya-Muni, faisant sous ses pas fleurir le sol, comme un centre magique, une source de vie sans cesse déplacée ; son passage pétrissait les rochers, ciselait les plantes, produisait les rivières et façonnait les êtres. Toute chose apparue venait du néant et toute chose disparue y retombait. Yada-Sin ? Évaporée. Le Fusi-Yama ? Nuage impalpable. L’une se volatilisait dans le passé, l’autre, enfermé dans l’avenir, était irréel comme demain.

Et voilà justement la seule cause d’angoisse du chevalier, angoisse délectable : ne pouvoir vivre ailleurs et plus tôt ou plus tard, ne pouvoir hanter les absents, voyager à travers l’histoire et la conjecture, se transporter, d’un mot, à l’endroit désiré, fût-il un astre, et, puisque le temps et l’espace se confondaient pour lui, ne pouvoir être enfin dans le souvenir et dans la prévision.

Certes, le printemps est la saison la mieux assortie au paysage nippon, celle où il est davantage lui-même — cela est si vrai que les vergers d’occident prennent sous les fleurs on ne sait quel air japonais. — Toutefois, Tokutaro éprouvait des nostalgies d’automne et le désir de l’été.

Il se prit à songer :