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fantômes et fantoches

nuance exceptionnelle, il l’admettait volontiers comme une supériorité, mais dans la crainte de s’entendre traiter d’infirme, soigneusement il la dissimulait.

Une âme extraordinaire l’habitait, à tout prendre une âme fort plaisante à loger. Un rien suffisait à la divertir et elle s’attendrissait à propos de tout. Aucune âme n’envisageait les choses comme celle-ci, et, surtout, ne savait découvrir entre elles des rapports aussi imprévus que n’en dénichait, toute frémissante d’allégresse et d’émotion, l’âme de Tokutaro.

Le chevalier ne s’ennuyait jamais avec sa pensée. Aussi aimait-il demeurer seul avec elle. Interprète du monde, elle lui traduisait le dialogue du ruisselet et du martin-pêcheur, à sa manière, c’est vrai, mais si drôlement ! Et Tokutaro s’abandonnait tout entier à ce penchant, plein de confiance dans un guide qui lui déconseillait toujours le mal et lui révélait la nature ténue dans toute sa finesse, comme s’il eût débarqué au Japon et pour la première fois.

Le flâneur des berges d’azur et des rizières d’or marchait donc voluptueusement et goûtait tout, en souverain, car, d’avoir mis à l’univers la livrée de son rêve, il s’en croyait le maître.

Au reste, l’univers, c’était le cercle visible