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tokutaro et murasaki

qu’en voyant un concert silencieux exécuté par un autre, il dénonçait la psalmodie, et si plusieurs musiciens s’avisaient en même temps de gesticuler chacun son air, il se sauvait, les mains aux oreilles.

C’est dire qu’il poussait la religion et l’observance de ses règles jusqu’à la virtuosité.

En quoi donc pouvait-il se distinguer de la totalité ?

Il ignorait la colère et cultivait la bravoure ; rien que de fort commun.

Il était sobre malgré ses travaux et chaste en dépit de son âge : un peu de riz calmait sa faim et la vue des femmes se baignant publiquement au seuil des maisons ne savait ni l’offusquer ni l’enthousiasmer ; très normal.

Pur Japonais plongé dans l’eau tiède après chacun de ses trois repas ascétiques, Tokutaro cependant n’était pas identique à ses meilleurs amis ; mais cette étrangeté tout intérieure ne pouvait se manifester qu’à des yeux clairvoyants de mère ou d’amoureuse, et de tels regards ne se posaient pas sur Tokutaro.

Tout au plus pouvait-on remarquer en lui l’indifférence à l’égard des joûtes, une horreur insolite de la guerre…

Lui-même se doutait à peine de la vérité. Cette