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fantômes et fantoches

désolé tout chevalier, et même n’importe lequel des Japonais.

C’est que celui-là différait profondément des autres.

Non qu’il ne fût pas religieux ; — en effet, c’eût été là manquer du sentiment national distinctif par excellence. Au contraire : sur son passage, poliment dévot, il déposait sa carte dans tous les temples. On lui avait enseigné la manière de conjurer les Esprits malfaisants, et il n’avait garde de l’oublier quand un renard noir ou quelque blaireau le regardait de travers. Dans l’air peuplé de Kamis, souvent à l’adresse des Génies ubicuiques montait sa prière. Et il réservait le meilleur de sa foi pour les Déesses graciles de bienveillance et de tendresse : pour les fleurs. Dans une besace, les tablettes funèbres de ses parents protégeaient son escapade, comme un foyer portatif qui de chaque gîte lui faisait un chez-soi ; le soir, il les installait sur la natte, armait sa main droite de grands ongles d’ivoire, puis, accroupi devant ces Dieux Lares, faisait le simulacre de jouer du shamisen en chantant : ses lèvres articulaient sans bruit quelque chant funéraire tandis que, prestes, ses doigts mimaient l’accompagnement. Et il connaissait tant d’oraisons et tant d’hymnes, et il avait acquis une telle habileté aux choses mélodieuses