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centre et partageait en deux le courant. Au lieu de le suivre à droite ou à gauche, le canard maladroitement buta en plein un bouchon épineux où il resta.

— C’est pour le coup, que je te tiens, dit M. Mignan.

Le tenait-il réellement ? Une dizaine de mètres l’en séparait. Une dernière fois, il tenta de corrompre Levraut. Jamais on n’avait vu un chien à ce point apathique et morne. Aux signes de son maître, il s’écarta obliquement. M. Mignan, le regard circulaire, se mit en quête d’une longue gaule, d’une gaule de dix mètres ! Quelle naïveté ! Il fixa le canard, comme s’il voulait le cramponner de l’œil et le ramener au bord. Ses joues tremblaient. Ses lèvres se contractaient jusqu’à blanchir et se serraient à ne pas laisser passer le moindre sifflement. De grosses gouttes de neige fondue coulaient sur ses moustaches comme des larmes. Il n’imaginait aucun moyen. À vrai dire, il souffrait sans pouvoir localiser sa blessure et se sentait envahi d’une telle furie qu’il ne raison-