Page:Renard - Coquecigrues, 1893.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La colère de M. Mignan devenait un danger. Il voulait respirer, mais il ne savait quel tampon refoulait l’air hors de lui. Il s’arrêta, imité par Levraut qu’il semblait oublier, prit le ciel à témoin, et tout de suite résolu, repartit :

— J’en crèverai, dit-il, mais je ne lâcherai pas.

La neige, silencieuse et serrée, lui mouillait le nez, les lèvres, le cou, éteignant complaisamment tous les feux qui lui poignaient à fleur de peau. Elle collait sous ses pieds, doublait, triplait ses semelles, lui donnait une attitude d’échassier, jusqu’au moment où, l’une des boules désagrégée, il se déséquilibrait, soudain boiteux. Plus loin, il faisait envoler d’un peuplier une bande de chardonnerets et l’arbre semblait brusquement secouer des fleurs chantantes.

— Ça va durer longtemps, cette histoire-là !

En vérité, il crut être à la fin. Non loin de Marigny, un peu en amont du pont, une sorte de jetée naturelle précédait l’arche du