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récent, où l’on visait surtout à exciter des sentiments de piété.

Une grande réserve était naturellement commandée à l’égard d’un document de cette nature. Il eût été aussi peu critique de le négliger que de l’employer sans discernement. Luc a eu sous les yeux des originaux que nous n’avons plus. C’est moins un évangéliste qu’un biographe de Jésus, un « harmoniste », un correcteur à la manière de Marcion et de Tatien. Mais c’est un biographe du premier siècle, un artiste divin qui, indépendamment des renseignements qu’il a puisés aux sources plus anciennes, nous montre le caractère du fondateur avec un bonheur de trait, une inspiration d’ensemble, un relief que n’ont pas les deux autres synoptiques. Son Évangile est celui dont la lecture a le plus de charme ; car, à l’incomparable beauté du fond commun, il ajoute une part d’artifice et de composition qui augmente singulièrement l’effet du portrait, sans nuire gravement à sa vérité.

En somme, on peut dire que la rédaction synoptique a traversé trois degrés : 1o l’état documentaire original (λόγια de Matthieu, λεχθέντα ἢ πραχθέντα de Marc), premières rédactions qui n’existent plus ; 2o l’état de simple mélange, où les documents originaux sont amalgamés sans aucun effort de compo-