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l’auteur du quatrième Évangile et de la première épître johannique, nous trouvons la dissonance la plus frappante. Comment sortir de ce labyrinthe de contradictions bizarres et d’inextricables difficultés ?

Pour moi, je n’y vois qu’une issue. C’est de tenir que le quatrième Évangile est bien en un sens κατὰ Ἰωάννην, qu’il n’a pas été écrit par Jean lui-même, qu’il fut longtemps ésotérique et secret dans l’une des écoles qui se rattachaient à Jean. Percer le mystère de cette école, savoir comment l’écrit dont il s’agit en sortit, est chose impossible. Des notes ou des dictées laissées par l’apôtre servirent-elles de base au texte que nous lisons[1] ? Un secrétaire nourri de la lecture de Philon, et ayant son style à lui, a-t-il donné aux récits et aux lettres de son maître un tour que sans cela ils n’eussent pas eu ? N’avons-nous pas ici quelque chose d’analogue aux lettres de sainte Catherine de Sienne, rédigées par son secrétaire, ou à ces révélations de Catherine Emmerich dont on peut dire également qu’elles sont de Catherine et qu’elles sont de Brentano, les imaginations de Catherine ayant traversé le style de Brentano ? Des sectaires à demi gnostiques ne purent-ils pas, sur la fin de la vie de l’apôtre, s’emparer de sa plume, et, sous prétexte de l’aider à écrire ses souvenirs et de le servir dans sa correspondance, lui prêter leurs idées, leurs expressions favorites, et se couvrir de son autorité[2] ? Qu’est-ce que ce Presbyteros Johannes,

  1. Jean, xix, 35 ; xxi, 24.
  2. En cette hypothèse, on s’explique le silence de Papias, qui est un argument si grave contre l’authenticité absolue du quatrième Évangile. On pourrait même supposer que c’est au quatrième Évangile que Papias ferait allusion d’une manière malveillante dans ces mots : Οὐ γὰρ τοῖς τὰ πολλὰ λέγουσιν ἔχαιρον, ὥσπερ οἱ πολλοί… οὐδὲ τοῖς τὰς ἀλλοτρίας ἐντολὰς μνημονεύουσιν. Cela répondrait bien aux longs discours, fort étrangers à Jésus, qui remplissent l’Évangile attribué à Jean.