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c’est par l’effet d’un déplacement, très-facile à expliquer, que les disciples groupèrent tous leurs souvenirs eucharistiques sur la dernière cène. Jésus y pratiqua, ainsi qu’il l’avait déjà fait bien des fois, le rit habituel des tables juives, en y attachant le sens mystique où il se complaisait, et, comme on se rappela le dernier repas bien mieux que tous les autres, on tomba d’accord pour y rapporter cet usage fondamental. L’autorité de saint Paul, qui est ici d’accord avec les synoptiques, n’a rien de péremptoire, puisqu’il n’avait pas été présent au repas ; elle prouve seulement, ce dont on ne peut pas douter, qu’une grande partie de la tradition fixait l’établissement du mémorial sacré à la veille de la mort. Cette tradition répondait à l’idée, généralement acceptée, que ce soir-là Jésus substitua une Pâque nouvelle à la Pâque juive ; elle tenait à une autre opinion des synoptiques, contredite par le quatrième Évangile, à savoir que Jésus fit avec ses disciples le festin pascal et mourut, par conséquent, le lendemain du jour où l’on mangeait l’agneau.

Ce qu’il y a de bien remarquable, c’est que le quatrième Évangile, en place de l’eucharistie, donne un autre rit, le lavement des pieds, comme ayant été l’institution propre de la dernière cène. Sans doute, notre évangéliste a aussi cédé cette fois à la tendance naturelle de rapporter au dernier soir les actes solennels de la vie de Jésus. La haine de notre auteur contre Judas se démasque de plus en plus par une forte préoccupation qui lui fait parler de ce malheureux, même quand il n’est pas directement en cause (versets 2, 10-11, 18). Dans le récit de l’annonce que Jésus fait de la trahison, la grande supériorité de notre texte se révèle encore. La même anecdote se trouve dans les synoptiques, mais présentée d’une façon invraisemblable et