Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/638

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sémani, comme d’autres circonstances solennelles, à la dernière soirée de Jésus, par suite de la tendance qui nous fait accumuler nos souvenirs sur les dernières heures d’une personne aimée. Ces circonstances ainsi placées ont, d’ailleurs, plus d’effet. Mais, pour admettre l’ordre des synoptiques, il faudrait supposer que Jésus savait avec certitude le jour où il mourrait. Nous voyons, en général, les synoptiques céder ainsi maintes fois au désir de l’arrangement, procéder avec un certain art. Art divin, d’où est sorti le plus beau poëme populaire qui ait jamais été écrit, la Passion ! Mais sans contredit, en pareil cas, la critique historique sera toujours pour la version la moins dramatique. C’est ce principe qui nous fait mettre Matthieu après Marc, et Luc après Matthieu, quand il s’agit de déterminer la valeur historique d’un récit des synoptiques.

§ 28. Nous voici arrivés à la dernière soirée (chap. xiii). Le repas des adieux est raconté, comme dans les synoptiques, avec de grands développements. Mais, chose surprenante ! la circonstance capitale de ce repas selon les synoptiques est omise ; pas un mot de l’établissement de l’eucharistie, qui tient une si grande place dans les préoccupations de notre auteur (chap. vi). Et cependant comme la narration a ici un tour réfléchi (v. 1) ! comme l’auteur insiste sur la signification tendre et mystique du dernier festin ! Que veut dire ce silence ? Ici, comme pour l’épisode de Gethsémani, je vois dans une telle omission un trait de supériorité du quatrième Évangile. Prétendre que Jésus réserva pour le jeudi soir une si importante institution rituelle, c’est accepter une sorte de miracle, c’est supposer qu’il était sûr de mourir le lendemain. Quoique Jésus (il est permis de le croire) eût des pressentiments, on ne peut, à moins de surnaturel, admettre une telle netteté dans ses prévisions. Je pense donc que