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qu’au contraire le théologien a priori prend la plume au v. 2 pour contredire ce récit et lui ôter ce qu’il pouvait avoir d’embarrassant.

§ 10. Nous arrivons à l’entrevue de Jésus et de la Samaritaine et à la mission chez les Samaritains (iv, 1-42). Luc connaît cette mission[1] qui probablement fut réelle. Ici pourtant, la théorie de ceux qui ne voient dans notre Évangile qu’une série de fictions destinées à amener des exposés de principes pourrait s’appliquer. Les détails du dialogue sont évidemment fictifs. D’un autre côté, la topographie des v. 3-6 est satisfaisante. Un juif de Palestine ayant passé souvent à l’entrée de la vallée de Sichem a pu seul écrire cela. Les versets 5-6 ne sont pas exacts ; mais la tradition qui y est mentionnée a pu venir de Gen., xxxiii, 19 ; xlviii, 22 ; Jos., xxiv, 32. L’auteur semble employer un jeu de mots (Sichar pour Sichem[2]), par lequel les juifs croyaient déverser sur les Samaritains une amère ironie[3]. Je ne pense pas qu’on se fût si fort soucié à Éphèse de la haine qui divisait les Juifs et les Samaritains, et de l’interdit réciproque qui existait entre eux (v. 9). Les allusions qu’on a voulu voir dans les versets 16-18 à l’histoire religieuse de la Samarie me paraissent forcées. Le v. 22 est capital. Il coupe en deux le mot admirable : « Femme, crois-moi, le temps est venu… » et exprime une pensée tout opposée. C’est là, ce semble, une correction analogue au v. 2 de ce même chapitre, où, soit l’auteur, soit un de ses disciples, corrige une pensée qu’il trouve dangereuse ou trop hardie. En tout cas,

  1. ix, 51 et suiv. ; xvii, 11.
  2. Sichar veut dire «mensonge».
  3. Les musulmans font encore journellement de ces sortes de calembours injurieux, pour dissimuler leur haine sournoise contre les Francs et les chrétiens.