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n’ayant aucun souvenir direct ou indirect de Palestine, un pur théoricien comme celui que révélait le prologue, n’aurait pas mis ce trait-là. Qu’importait à un sectaire d’Asie Mineure ou d’Alexandrie ce détail topographique ? Si l’auteur l’a mis, c’est qu’il avait une raison matérielle de le mettre, soit dans les documents qu’il possédait, soit dans des souvenirs. Déjà, donc, nous arrivons à penser que notre théologien peut bien nous apprendre sur la vie de Jésus des choses que les synoptiques ignorent. Rien certes ne prouve le témoin oculaire. Mais il faut supposer au moins que l’auteur avait d’autres sources que celles que nous avons, et que pour nous il peut bien avoir la valeur d’un original.

§ 3. À partir du v. 35, nous lisons une série de conversions d’apôtres, liées entre elles d’une façon peu naturelle, et qui ne répondent pas aux récits des synoptiques. Peut-on dire que les récits de ces derniers aient ici une supériorité historique ? Non. Les conversions d’apôtres racontées par les synoptiques sont toutes coulées dans un même moule ; on sent un type légendaire et idyllique s’appliquant indistinctement à tous les récits de ce genre. Les petits récits du quatrième Évangile ont plus de caractère et des arêtes moins effacées. Ils ressemblent bien à des souvenirs mal rédigés d’un des apôtres. Je sais que les récits des gens simples, des enfants, sont toujours très-détaillés. Je n’insiste pas sur les minuties du v. 39. Mais pourquoi cette idée de rattacher la première conversion de disciples au séjour de Jésus près de Jean-Baptiste[1] ? D’où viennent ces particularités si précises sur Philippe, sur la

  1. Je remarque, sans y attacher d’importance, que les trois premiers apôtres nommés par Papias (dans Eusèbe, H. E., III, 39) sont rangés selon l’ordre où ils figurent d’abord dans notre Évangile.