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Marc-Aurèle laisse après lui des livres délicieux, un fils exécrable, un monde qui s’en va. Jésus reste pour l’humanité un principe inépuisable de renaissances morales. La philosophie ne suffit pas au grand nombre. Il lui faut la sainteté. Un Apollonius de Tyane, avec sa légende miraculeuse, devait avoir plus de succès qu’un Socrate, avec sa froide raison. « Socrate, disait-on, laisse les hommes sur la terre, Apollonius les transporte au ciel ; Socrate n’est qu’un sage, Apollonius est un dieu[1]. » La religion, jusqu’à nos jours, n’a jamais existé sans une part d’ascétisme, de piété, de merveilleux. Quand on voulut, après les Antonins, faire une religion de la philosophie, il fallut transformer les philosophes en saints, écrire la « Vie édifiante » de Pythagore et de Plotin, leur prêter une légende, des vertus d’abstinence et de contemplation, des pouvoirs surnaturels, sans lesquels on ne trouvait près du siècle ni créance ni autorité.

Gardons-nous donc de mutiler l’histoire pour satisfaire nos mesquines susceptibilités. Qui de nous, pygmées que nous sommes, pourrait faire ce qu’ont fait l’extravagant François d’Assise, l’hystérique

  1. Philostrate, Vie d’Apollonius, IV, 2 ; VII, 11 ; VIII, 7 ; Eunape, Vies des Sophistes, p. 454, 500 (édit. Didot).