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d’œuvre de Jésus et ce qui frappa le plus ses contemporains[1]. Sa doctrine était quelque chose de si peu dogmatique qu’il ne songea jamais à l’écrire ni à la faire écrire. On était son disciple non pas en croyant ceci ou cela, mais en s’attachant à sa personne et en l’aimant. Quelques sentences recueillies d’après les souvenirs de ses auditeurs, et surtout son type moral et l’impression qu’il avait laissée, furent ce qui resta de lui. Jésus n’est pas un fondateur de dogmes, un faiseur de symboles ; c’est l’initiateur du monde à un esprit nouveau. Les moins chrétiens des hommes furent, d’une part, les docteurs de l’Église grecque, qui, à partir du ive siècle, engagèrent le christianisme dans une voie de puériles discussions métaphysiques, et, d’une autre part, les scolastiques du moyen âge latin, qui voulurent tirer de l’Évangile les milliers d’articles d’une « Somme » colossale. Adhérer à Jésus en vue du royaume de Dieu, voilà ce qui s’appela d’abord être chrétien.

On comprend de la sorte comment, par une destinée exceptionnelle, le christianisme pur se présente encore, au bout de dix-huit siècles, avec le caractère d’une religion universelle et éternelle. C’est qu’en effet la religion de Jésus est à quelques égards la

  1. Jos., Ant., XVIII, iii, 3.