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trine ; on le transformait en disciple de Juda le Gaulonite ; on prétendait qu’il défendait de payer le tribut à César[1]. Pilate lui demanda s’il était réellement le roi des Juifs[2]. Jésus ne dissimula rien de ce qu’il pensait. Mais la grande équivoque qui avait fait sa force, et qui après, sa mort devait constituer sa royauté, le perdit cette fois. Idéaliste, c’est-à-dire ne distinguant pas l’esprit et la matière, Jésus, la bouche armée de son glaive à deux tranchants, selon l’image de l’Apocalypse, ne rassura jamais complétement les puissances de la terre. S’il faut en croire le quatrième Évangile, il aurait avoué sa royauté, mais prononcé en même temps cette profonde parole : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » Puis il aurait expliqué la nature de sa royauté, se résumant tout entière dans la possession et la proclamation de la vérité. Pilate ne comprit rien à cet idéalisme supérieur[3]. Jésus lui fit sans doute l’effet d’un rêveur inoffensif. Le manque total de prosélytisme religieux et philosophique chez les Romains de cette époque leur faisait regarder le dévouement à la vérité comme une chimère. Ces débats les ennuyaient et leur parais-

  1. Luc, xxiii, 2, 5.
  2. Matth., xxvii, 11 ; Marc, xv, 2 ; Luc, xxiii, 3 ; Jean, xviii, 33.
  3. Jean, xviii, 38.