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maître[1]. Vers la fin du repas, le secret qui pesait sur le cœur de Jésus faillit lui échapper. « En vérité, dit-il, je vous le déclare, un de vous me trahira[2], » Ce fut pour ces hommes naïfs un moment d’angoisse ; ils se regardèrent les uns les autres, et chacun s’interrogea. Judas était présent ; peut-être Jésus, qui avait depuis quelque temps des raisons de se défier de lui, chercha-t-il par ce mot à tirer de ses regards ou de son maintien embarrassé l’aveu de sa faute. Mais le disciple infidèle ne perdit pas contenance ; il osa même, dit-on, demander comme les autres : « Serait-ce moi, rabbi ? »

Cependant, l’âme droite et bonne de Pierre était à la torture. Il fit signe à Jean de tâcher de savoir de qui le maître parlait. Jean, qui pouvait converser avec Jésus sans être entendu, lui demanda le mot de cette énigme. Jésus, n’ayant que des soupçons, ne voulut prononcer aucun nom ; il dit seulement à Jean de bien remarquer celui à qui il allait offrir une bouchée trempée dans la sauce[3]. En même temps, il trempa

  1. Jean, xiii, 23 ; Polycrate, dans Eusèbe, H. E. V, 24.
  2. Matth., xxvi, 21 et suiv. ; Marc, xiv, 18 et suiv. ; Luc, xx, 21 et suiv. ; Jean, xiii, 21 et suiv. ; xxi, 20.
  3. En Orient, le chef de table donne une marque d’égard à un convive en faisant pour lui, une ou deux fois par repas, des boulettes qu’il compose et assaisonne à son gré.