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tant des principes admis d’emblée par toute l’ancienne politique, Hanan et Kaïapha étaient donc en droit de dire : « Mieux vaut la mort d’un homme que la ruine d’un peuple. » C’est là un raisonnement, selon nous, détestable. Mais ce raisonnement a été celui des partis conservateurs depuis l’origine des sociétés humaines. Le « parti de l’ordre » (je prends cette expression dans le sens étroit et mesquin) a toujours été le même. Pensant que le dernier mot du gouvernement est d’empêcher les émotions populaires, il croit faire acte de patriotisme en prévenant par le meurtre juridique l’effusion tumultueuse du sang. Peu soucieux de l’avenir, il ne songe pas qu’en déclarant la guerre à toute initiative, il court risque de froisser l’idée destinée à triompher un jour. La mort de Jésus fut une des mille applications de cette politique. Le mouvement qu’il dirigeait était tout spirituel ; mais c’était un mouvement ; dès lors les hommes d’ordre, persuadés que l’essentiel pour l’humanité est de ne point s’agiter, devaient empêcher l’esprit nouveau de s’étendre. Jamais on ne vit par un plus frappant exemple combien une telle conduite va contre son but. Laissé libre, Jésus se fût épuisé dans une lutte désespérée contre l’impossible. La haine inintelligente de ses ennemis décida du succès de son œuvre et mit le sceau à sa divinité.