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Entraîné par cette effrayante progression d’enthousiasme, commandé par les nécessités d’une prédication de plus en plus exaltée, Jésus n’était plus libre ; il appartenait à son rôle et, en un sens, à l’humanité. Quelquefois on eût dit que sa raison se troublait. Il avait comme des angoisses et des agitations intérieures[1]. La grande vision du royaume de Dieu, sans cesse flamboyant devant ses yeux, lui donnait le vertige. Il faut se rappeler que ses proches, par moments, l’avaient cru fou[2], que ses ennemis le déclarèrent possédé[3]. Son tempérament, excessivement passionné, le portait à chaque instant hors des bornes de la nature humaine. Son œuvre n’étant pas une œuvre de raison, et se jouant de toutes les règles de l’esprit humain, ce qu’il exigeait le plus impérieusement, c’était la « foi[4] ». Ce mot était celui qui se répétait le plus souvent dans le petit cénacle. C’est le mot de tous les mouvements populaires. Il est clair qu’aucun de ces mouvements ne se ferait, s’il fallait que celui qui les excite gagnât ses disciples les uns après les autres par de bonnes preuves, logiquement déduites. La réflexion ne mène qu’au doute, et, si les auteurs de la

  1. Jean, xii, 27.
  2. Marc, iii, 21 et suiv.
  3. Marc, iii, 22 ; Jean, vii, 20 ; viii, 48 et suiv. ; x, 20 et suiv.
  4. Matth., viii, 10 ; ix, 2, 22, 28-29 ; xvii, 19 ; Jean, vi, 29, etc.