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de singulière douceur, renversant toutes nos idées, faisaient passer ces exagérations. « Venez à moi, criait-il, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vos épaules ; apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes ; car mon joug est doux, et mon fardeau léger[1]. »

Un grand danger résultait pour l’avenir de cette morale exaltée, exprimée dans un langage hyperbolique et d’une effrayante énergie. À force de détacher l’homme de la terre, on brisait la vie. Le chrétien sera loué d’être mauvais fils, mauvais patriote, si c’est pour le Christ qu’il résiste à son père et combat sa patrie. La cité antique, la république, mère de tous, l’État, loi commune de tous, sont constitués en hostilité avec le royaume de Dieu. Un germe fatal de théocratie est introduit dans le monde.

Une autre conséquence se laisse dès à présent entrevoir. Transportée dans un état calme et au sein d’une société rassurée sur sa propre durée, cette morale, faite pour un moment de crise, devait sembler impossible. L’Évangile était ainsi destiné à devenir pour les chrétiens une utopie, que bien peu s’inquiéteraient de réaliser. Ces foudroyantes maximes de-

  1. Matth., xi, 28-30.