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les écrits de l’âge apostolique sont-ils des ouvrages de circonstance, n’ayant nullement la prétention de fournir un ensemble dogmatique complet. Les Évangiles eurent d’abord un caractère tout privé et une autorité bien moindre que la tradition[1].

La secte, cependant, n’avait-elle pas quelque sacrement, quelque rite, quelque signe de ralliement ? Elle en avait un, que toutes les traditions font remonter jusqu’à Jésus. Une des idées favorites du maître, c’est qu’il était le pain nouveau, pain très supérieur à la manne et dont l’humanité allait vivre. Cette idée, germe de l’Eucharistie, prenait quelquefois dans sa bouche des formes singulièrement concrètes. Une fois surtout, il se laissa aller, dans la synagogue de Capharnahum, à un mouvement hardi, qui lui coûta plusieurs de ses disciples. « Oui, oui, je vous le dis, ce n’est pas Moïse, c’est mon Père qui vous a donné le pain du ciel[2]. » Et il ajoutait : « C’est moi qui suis le pain de vie ; celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif[3]. » Ces paroles excitèrent un vif murmure. « Qu’entend-il, se disait-on, par ces

  1. Papias, dans Eusèbe, Hist. eccl., III, 39.
  2. Jean, vi, 32 et suiv.
  3. On trouve un tour analogue, provoquant un malentendu semblable, dans Jean, iv, 10 et suiv.