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le plus grand ; celui qui est humble comme ce petit est le plus grand dans le royaume du ciel[1]. »

C’était l’enfance, en effet, dans sa divine spontanéité, dans ses naïfs éblouissements de joie, qui prenait possession de la terre. Tous croyaient à chaque instant que le royaume tant désiré allait poindre. Chacun s’y voyait déjà assis sur un trône[2] à côté du maître. On s’y partageait les places[3] ; on cherchait à supputer les jours. Cela s’appelait « la bonne nouvelle » ; la doctrine n’avait pas d’autre nom. Un vieux mot, paradis, que l’hébreu, comme toutes les langues de l’Orient, avait emprunté à la Perse, et qui désigna d’abord les parcs des rois achéménides, résumait le rêve de tous : un jardin délicieux où l’on continuerait à jamais la vie charmante que l’on menait ici-bas[4]. Combien dura cet enivrement ? On l’ignore. Nul, pendant le cours de cette magique apparition, ne mesura plus le temps qu’on ne mesure un rêve. La durée fut suspendue ; une semaine fut comme un siècle. Mais, qu’il ait rempli des années ou des mois, le rêve fut si beau que l’humanité en

  1. Matth., xviii, 4 ; Marc, ix, 33-36 ; Luc, ix, 46-48.
  2. Luc, xxii, 30.
  3. Marc, x, 37, 40-41.
  4. Luc, xxiii, 43 ; II Cor., xii, 4. Comp. Carm. sibyll., proœm., 86 ; Talm. de Bab., Chagiga, 14 b.