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nisme aux lois communes des autres mouvements religieux ; c’est qu’aussi, peut-être, ils ne connaissent pas suffisamment la théorie de la vie spirituelle. Il n’y a pas de mouvement religieux où de telles déceptions ne jouent un grand rôle. On peut même dire qu’elles sont à l’état permanent dans certaines communautés, telles que les piétistes protestants, les mormons, les couvents catholiques. Dans ces petits mondes exaltés, il n’est pas rare que les conversions s’opèrent à la suite de quelque incident, où l’âme frappée voit le doigt de Dieu. Ces incidents ayant toujours quelque chose de puéril, les croyants les cachent ; c’est un secret entre le ciel et eux. Un hasard n’est rien pour une âme froide ou distraite ; il est un signe divin pour une âme obsédée. Dire que c’est un incident matériel qui a changé de fond en comble saint Paul, saint Ignace de Loyola, ou plutôt qui a donné une nouvelle application à leur activité, est certes inexact. C’est le mouvement intérieur de ces fortes natures qui a préparé le coup de tonnerre ; mais le coup de tonnerre a été déterminé par une cause extérieure. Tous ces phénomènes se rapportent, du reste, à un état moral qui n’est plus le nôtre. Dans une grande partie de leurs actes, les anciens se gouvernaient par les songes qu’ils avaient eus la nuit précédente, par des inductions tirées de l’objet fortuit qui frappait le premier leur vue, par des sons qu’ils croyaient entendre. Il y a eu des vols d’oiseau, des courants d’air, des migraines qui ont décidé du sort du monde. Pour être sincère et complet, il faut dire cela, et, quand des documents médiocrement certains nous racontent des incidents de ce genre, il faut se garder de les passer sous silence. Il n’y a guère de détails certains en histoire ; les détails cependant ont toujours quelque signification. Le talent de l’historien consiste à faire un ensemble vrai avec des traits qui ne sont vrais qu’à demi.