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prophètes, vrais tribuns et, on peut le dire, les plus hardis des tribuns, avaient tonné sans cesse contre les grands et établi une étroite relation d’une part entre les mots de « riche, impie, violent, méchant », de l’autre entre les mots de « pauvre, doux, humble, pieux »[1]. Sous les Séleucides, les aristocrates ayant presque tous apostasié et passé à l’hellénisme, ces associations d’idées ne firent que se fortifier. Le livre d’Hénoch contient des malédictions plus violentes encore que celles de l’Évangile contre le monde, les riches, les puissants[2]. Le luxe y est présenté comme un crime. Le « Fils de l’homme », dans cette Apocalypse bizarre, détrône les rois, les arrache à leur vie voluptueuse, les précipite dans l’enfer[3]. L’initiation de la Judée à la vie profane, l’introduction récente d’un élément tout mondain de luxe et de bien-être, provoquaient une furieuse réaction en faveur de la simplicité patriarcale. « Malheur à vous qui méprisez la masure et l’héritage de vos pères ! Malheur à vous qui bâtissez vos palais avec la sueur des autres ! Chacune des pierres, chacune des

  1. Voir en particulier Amos, ii, 6 ; Is., lxiii, 9 ; Ps. xxv, 9 : xxxvii, 11 ; lxix, 33, et en général les dictionnaires hébreux, aux mots : דל ,עני ,ענו ,חסיד ,עשיר ,היללים ,עריץ אביון.
  2. Ch. lxii, lxiii, xcvii, c, civ.
  3. Hénoch, ch. xlvi (peut-être chrétien), 4-8.