Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.

table est bien plus dégagé de toute chaîne ; il est ici-bas un exilé ; que lui importe le maître passager de cette terre, qui n’est pas sa patrie ? La liberté pour lui, c’est la vérité[1]. Jésus ne savait pas assez l’histoire pour comprendre combien une telle doctrine venait juste à son point, au moment où finissait la liberté républicaine et où les petites constitutions municipales de l’antiquité expiraient dans l’unité de l’empire romain. Mais son bon sens admirable et l’instinct vraiment prophétique qu’il avait de sa mission le guidèrent ici avec une merveilleuse sûreté. Par ce mot : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, » il a créé quelque chose d’étranger à la politique, un refuge pour les âmes au milieu de l’empire de la force brutale. Assurément, une telle doctrine avait ses dangers. Établir en principe que le signe pour reconnaître le pouvoir légitime est de regarder la monnaie, proclamer que l’homme parfait paye l’impôt par dédain et sans discuter, c’était détruire la république à la façon ancienne et favoriser toutes les tyrannies. Le christianisme, en ce sens, a beaucoup contribué à affaiblir le sentiment des devoirs du citoyen et à livrer le monde au pouvoir absolu des faits accomplis. Mais,

  1. Jean, viii, 32 et suiv.