Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/441

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je ne me repens pas de les avoir acceptées. Quelle est la philosophie qui ne doit dire : Dominus pars… ? C’est la profession de la vie belle et pure, et, grâce à Dieu, j’en conserve toujours un goût très sensible. Je vous ferai une confidence, mon cher, puisque je puis vous tout dire ; aussi bien est-ce une des pensées qui me reviennent avec le plus de charme.

Au moment où je marchais à l’autel pour recevoir la tonsure, des doutes terribles me travaillaient déjà ; mais on me poussait et j’entendais dire qu’il est toujours bon d’obéir. Je marchai donc ; mais je prends Dieu à témoin de la pensée intime qui m’occupait et du vœu que je fis au fond de mon cœur. Je pris pour mon partage cette vérité qui est le Dieu caché ; je me consacrai à sa recherche, renonçant pour elle à tout ce qui n’est que profane, à tout ce qui peut éloigner l’homme de la fin sainte et divine à laquelle l’appelle sa nature. Ainsi je l’entendais, et mon âme m’attestait que je ne me repentirais jamais de ma promesse. Et je ne m’en repens pas, mon ami, et je répète sans cesse avec bonheur ces douces et suaves paroles : Dominus pars… et je crois être tout aussi agréable à Dieu, tout aussi fidèle à ma promesse, que celui qui croit pouvoir les prononcer avec un cœur vain et un esprit frivole. Alors seulement elles me seront un reproche quand, prostituant ma pensée à des soins vulgaires, je donnerai à ma vie un de ces mobiles grossiers qui suffisent aux hommes profanes, et préférerai les jouissances inférieures à la sainte poursuite du beau et du vrai. Jusque-là, mon ami, je me rappellerai sans regrets le jour où je les prononçai.