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tion ni équivalent, n’amènent un affreux abaissement. Forcer tous à subir l’obéissance, c’est tuer le génie et le talent. Qui a passé des années au port d’armes à la façon allemande est mort pour les œuvres fines ; aussi l’Allemagne, depuis qu’elle s’est donnée tout entière à la vie militaire, n’aurait plus de talent si elle n’avait les juifs, envers qui elle est si ingrate.

La génération, qui avait de quinze à vingt ans au moment d’éclat que je raconte et qui fut court, a maintenant de cinquante-cinq à soixante ans. A-t-elle rempli les espérances illimitées qu’avait conçues l’âme ardente de notre grand éducateur ? Non assurément ; si ses espérances avaient été réalisées, c’est le monde entier qui eût été changé de fond en comble, et on ne s’aperçoit pas d’un tel changement. M. Dupanloup aimait trop peu son siècle et lui faisait trop peu de concessions pour qu’il pût lui être donné de former des hommes au droit fil du temps. Quand je me figure une de ces lectures spirituelles où le maître répandait si abondamment son esprit,