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taines, dans des mers que tes Argonautes ne connurent pas. J’entendis, quand j’étais jeune, les chansons des voyages polaires ; je fus bercé au souvenir des glaces flottantes, des mers brumeuses semblables à du lait, des îles peuplées d’oiseaux qui chantent à leurs heures et qui, prenant leur volée tous ensemble, obscurcissent le ciel.

» Des prêtres d’un culte étranger, venu des Syriens de Palestine, prirent soin de m’élever. Ces prêtres étaient sages et saints. Ils m’apprirent les longues histoires de Cronos, qui a créé le monde, et de son fils, qui a, dit-on, accompli un voyage sur la terre. Leurs temples sont trois fois hauts comme le tien, ô Eurythmie, et semblables à des forêts ; seulement ils ne sont pas solides ; ils tombent en ruine au bout de cinq ou six cents ans ; ce sont des fantaisies de barbares, qui s’imaginent qu’on peut faire quelque chose de bien en dehors des règles que tu as tracées à tes inspirés, ô Raison. Mais ces temples me plaisaient ; je n’avais pas étudié ton art divin ; j’y trouvais Dieu. On y chantait des cantiques dont je me souviens