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de la commission changerait entièrement mes dispositions à cet égard. Depuis, il ne cesse de me répéter avec une persistence qui m’étonne, et comme s’il voulait sonder mes dispositions sur ce point, que je dois publier mon travail le plus tôt possible, qu’il peut m’être très honorable, que ce sera un titre scientifique, qu’il y a très peu de chose il y faire pour l’amener à sa perfection. Enfin, chère amie, je suis au moins assuré par ce côté qu’une partie de mon but est atteinte, et que mon travail a mérité l’estime de ses juges. Tout cela ne suffit point à vaincre dans mon esprit la suprême invraisemblance que je vois à ce qu’il obtienne la première place ; mais je crois pouvoir au moins sans présomption me tenir assuré de la mention honorable.

Je t’ai dit, bonne amie, qu’un seul point avait fait difficulté aux yeux de M. Reinaud. Oui, chère amie, et ç’a été pour moi la source de réflexions bien pénibles, beaucoup moins pour le présent que pour l’avenir. Il faut te dire que ce cher M. Reinaud est bien le meilleur homme du monde, comme il me l’a surabondamment prouvé ; c’est même un érudit fort estimable ; mais pour de la fine critique et de la philosophie, ce n’est guère chez lui qu’il en faut chercher, et j’ai souvent pu m’apercevoir que ce qu’il apprécie surtout dans mon travail n’est guère ce qui à mes yeux a le plus de valeur. Avec cela il est très fortement attaché à l’orthodoxie, comme la plupart des savants de cette trempe. Or, chère amie,