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ami, merci du soin que tu prends de ranimer mon pauvre cœur en me faisant partager tes espérances. Oui, tes travaux seront récompensés, bon et courageux ami  ; et c’est désormais sans inquiétudes que j’envisage ton avenir. Souvent, mon Ernest, souvent je pense que j’ai assez vécu puisque ce moment a lui pour moi !

Dans sa dernière lettre mademoiselle Ulliac me parle d’une affaire sur laquelle je veux te consulter, cher ami. Il s’agit d’acheter une demi-action du Journal des Jeunes Personnes, et mademoiselle Ulliac, quoiqu’elle n’y soit plus intéressée, m’engage fortement a faire cette acquisition. Comme dans tout ce qui est incertain, j’hésite et je réfléchis. L’affaire va bien, très bien ; les intérêts seront très forts, et iront au moins au double de ce qu’on peut espérer dans un autre placement ; mais le capital court nécessairement toutes les chances que court une somme placée dans une entreprise commerciale. La société actuelle, dans laquelle il s’agit d’entrer, est formée pour dix ans. Si au bout de ce temps le journal a plus de valeur qu’il n’en avait l’an dernier, je gagne sur mon avance ; s’il en avait moins, je perds. Crois-tu, mon ami, que je puisse, que je doive exposer deux mille ou deux mille cinq cents francs (je ne sais pas au juste le prix) sur de pareilles chances ? Dis-moi franchement ton avis. Il n’est plus question d’obliger mademoiselle Ulliac, dès lors je puis aussi facilement dire non que oui. C’est, je te le répète, une affaire de com-