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d’hommes doués d’un tact pratique aussi fin  ; si je lui ai beaucoup appris, il ne m’a pas été non plus inutile sur ce point. Je serai toujours un maladroit, la chose est sûre ; mais enfin je suis devenu capable de mener à bout quelque chose sans trop de gaucherie ; je suis même surpris de mes prouesses, depuis que je suis seul. On devient diplomate dans ce pays malgré soi.

J’ai quitté Daremberg à Livourne, J’avais le désir, je ne sais trop pourquoi, de voir la route des Maremmes. Que j’ai eu une heureuse inspiration ! Cette route est admirable : on ne perd pas la mer de vue deux heures de suite, et longtemps au sortir de Livourne, la route est taillée dans le flanc des montagnes qui plongent dans la mer. La Maremme représente à merveille les steppes ; la baie d’Orbitello et de Talamone, avec le cap Argontare, et l’île de Giglio est bien un des plus ravissants paysages de l’Italie. S’il y avait là une ville de cinquante mille âmes, Orbitello serait aussi célèbre que Naples. Je n’ai bien compris la campagne romaine que du haut des remparts de Corneto ; cet effroyable et magique désert, bosselé à perte de vue, m’a fait une impression que je n’oublierai jamais. Je suis toujours à la Minerve, et pas trop seul ; j’ai trouvé deux ou trois officiers très lettrés, entre autres le colonel Frossard, un homme vraiment à part comme soldat et comme homme d’intelligence. C’est lui qui présidait aux fouilles faites depuis l’occupation et que la municipalité a fait cesser. Le Dr Lacauchie, chirurgien