Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/445

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tu as doute un instant de mon cœur. À un certain moment, tu m’as moins aimé, que dis-je ? tu as cru que je t’aimais moins. Eh bien ! nui chère amie, le repentir qui, dis-tu, suivit le départ de ta lettre du 1er  janvier, ce repentir suivit également, et plus vif peut-être, le départ de ma lettre de Florence. Mon Dieu ! me dis-je, qu’ai-je fait ? Oui, sans doute, s’il était bien sûr qu’elle revint en automne, il aurait mieux valu renoncer à l’entrevue de Venise ou Vienne. Mais si elle ne revenait pas !… Elle reviendra, c’est une chose décidée ; mais enfin si elle ne revenait pas, oh ! je serais inconsolable d’avoir manqué par ma faute un tel bonheur. Ces pensées me travaillaient tellement que je faillis t’en écrire de nouveau dans les dernières heures de mon séjour à Florence. Mon Dieu ! que notre position si complexe relativement à ce retour tant désiré nous met dans de difficiles alternatives ! Je suis inébranlable dans mon système : ou retour au printemps par Venise avec moi, ou retour on automne par Berlin. Je ne puis te cacher que tout autre parti me causerait une peine des plus vives, surtout après notre renonciation au projet d’entrevue. Ce projet était excellent, je le répète, si nous avions encore deux ou trois ans à être séparés ; l’un de ces deux points supposait l’autre, si bien qu’accepter l’entrevue, c’eût été de ma part et aussi, j’ai du moins été tenté de le croire, de la tienne, c’eût été, dis-je, reconnaître que notre réunion était pour longtemps