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montagnes environnantes : et on jouit d’un soleil brillant, tandis que les régions inférieures sont plongées dans les brouillards. C’est vers les dix heures du matin que le spectacle est admirable, quand ces vapeurs se déchirent, qu’on voit apparaître à travers leurs déchirures de larges pans de la campagne, et les cimes des arbres percer çà et là. Quand le temps est nébuleux, le monastère est plongé dans les nuages. J’éprouve une jouissance très vive à voir ces grandes masses s’avancer, étendre leurs bras, métamorphoser leurs formes et nous plonger dans l’ombre pour quelques instants. Quand je les vois s’avancer, je quitte mon manuscrit et je vais a la fenêtre de l’archivio pour contempler ce singulier spectacle. Il est impossible de se faire des idées exactes sur la météorologie et les divers phénomènes de l’atmosphère sans avoir résidé quelques jours sur ces hauteurs et contemplé ces nombreux plans de vapeurs qui s’étagent sur le liane des montagnes et donnent lieu aux aspects variés dont on jouit d’on bas. Les beaux souvenirs de ces lieux achèvent de me les rendre chers. Quel homme que ce saint Benoit et quelle force dans ces institutions qui ont traversé tant de siècles ! Qu’est-ce donc que fonder, chère amie ? Nous voila tous tant que nous sommes, philosophes du xixe siècle, plus savants et plus critiques, assurément, que le père de l’ascétisme chrétien au vie siècle, eh bien ! nous sommes incapables de faire cohabiter deux hommes sous le même toit, de les faire coopérer