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sévère, sans doute parce que le sens des beautés de la nature est chez moi beaucoup moins vif que le sens de la beauté morale : une belle âme, une œuvre élevée, me parlent plus que des horizons colorés de mille nuances, que des rivages délicieux, que des îles qui semblent dormir sur les mers. Si Sorrente et Portici, Baïa et Pausilippo n’ont pu dissiper le nuage de tristesse que l’affreuse dégradation morale de ce pays répandait autour de mon esprit, je doute que les beautés mâles des Apennins eussent obtenu de moi plus d’indulgence, si je n’avais trouvé sur ce mont célèbre que de grossiers ou ridicules adeptes d’institutions surannées. Mais c’est là le miracle, chère amie ; c’est là ce qui fait en ce moment du Mont-Cassin un des lieux les plus curieux du monde, et celui où l’on peut mieux connaître l’esprit italien dans ce qu’il y a de poétique et d’élevé. Ce Mont-Cassin est le centre le plus actif et le plus brillant du mouvement moderne en ce pays, le Mont-Cassin offre l’étonnant spectacle de moines persécutés par l’autorité séculière pour leur patriotisme et l’élévation de leur sentiment religieux.

Cette lettre parviendra par la voie de Paris, chère Henriette ; elle ne sera mise à la poste qu’à Rome, je puis donc te parler en toute liberté de l’affreuse tyrannie intellectuelle qui règne sur cette partie de l’Italie. Ce n’est qu’ici que j’ai appris à la connaître, des moines devaient m’apprendre ce que c’est que la tyrannie de la