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POUR MON FRÈRE


Clemensow, 8 décembre 1849.

Le retard de ta lettre, mon Ernest bien-aimé, m’a jetée pendant deux semaines dans un état inexprimable. J’avais pensé que tu m’écrirais en arrivant à Rome ; on m’avait dit qu’il ne fallait que douze jours pour recevoir ici les nouvelles que j’attendais de toi ; et au commencement de décembre je n’avais rien, rien encore… Il me semble que jamais heures de pareille souffrance n’ont passé dans ma vie. J’en ai été malade alitée pendant quatre jours, et je ne sais en vérité ce que je serais devenue si ta lettre n’était alors arrivée jusqu’à moi. Mon frère chéri, conserve ton existence si tu veux que je vive… Ah ! que j’ai souffert ! que la traversée dont tu me fais un si joli tableau m’a causé de terreurs, m’a fait passer de nuits horribles !… Tu as raison, cher ami : il faut dans notre pénible éloignement tâcher de nous épargner de tels coups, compter toujours sur des retards, prévoir même la perte d’une lettre. Pour moi, quand je songe à la filière par où les miennes doivent passer, je m’étonne encore de les voir parvenir, même avec mille lenteurs.

Enfin, mes sinistres craintes n’étaient que folie !… J’ai besoin de laisser échapper encore cette exclamation avant de te dire, très cher ami, combien je suis heureuse de te voir comprendre l’Italie