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selle Ulliac m’apprend qu’elle n’a reçu ton paquet qu’après un terme beaucoup plus long que d’habitude, et suppose que la personne chargée de mettre la lettre à la poste y aura mis quelque retard. Quoi qu’il en soit, ma bien chère amie, que ceci nous serve de leçon et nous apprenne à prendre l’irrégularité de notre correspondance comme un mal nécessaire, et non comme un indice alarmant. Le service des postes est ici, comme tu le sais, déplorablement administré.

Que de choses ont passé sous mes yeux, que de sentiments se sont croisés dans mon âme, depuis les dernières lignes que je t’ai écrites de Lyon ! Un jour, bientôt je l’espère, nous en causerons, ma bien-aimée ; maintenant j’en remplirais ces pages, dont l’espace m’est mesuré, sans pouvoir t’exprimer la plus faible partie de ce que j’ai senti dans ces jours si pleins d’émotions et d’enseignements divers. A Lyon, j’augurais déjà la nature méridionale ; je ne suis quel vent tiède m’apportait déjà des parfums tout nouveaux pour moi. Quelle fut ma surprise quand je me trouvai les jours suivants en face de ces belles montagnes du Dauphiné, suivant tous les détours du grand fleuve sur les bords duquel s’est si vivement épanouie la vie de la France méridionale. Je n’ai bien compris la Gaule romaine, et la Provence du moyen âge, que dans cette journée qui m’a porté de Lyon à Avignon, et durant laquelle j’ai vu fuir des deux côtés Vienne, Valence, Tournon, Orange, Pont-Saint-Esprit, Bourg-Saint-Andéol,