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les mauvaises années, quand le vieillard s’affaissant sur des espérances surannées ne vit plus, devant lui qu’un soin de dynastie, quand il devint sourd à tous les conseils (et dis-je ici autre chose que les témoins les moins suspects, le prince de Joinville par exemple, dans ses lettres publiées ?) quand une cour, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus antipathique à la France actuelle, apparut tous les jours de plus en plus envahissante, enfin quand on vit reparaître traits pour traits la Restauration, moins cette espèce d’air de majesté qu’elle avait par droit de naissance, alors tu n’étais plus parmi nous, tu étais dans un pays où le régime qui nous étouffait eût pu passer pour un âge d’or. Rends-moi justice, longtemps avant la révolution de février, ne te parlais-je pas dans le même sens ? Certes voilà plus qu’il n’en faut, je crois, pour expliquer comment la plus belle âme et l’esprit le plus élevé a pu avoir de la sympathie pour un régime qu’elle n’a connu que par ce qu’il avait d’honorable. Et cette apologie n’est pas pour toi seulement, je me l’adresse pour tous ceux dont l’estime m’est chère. M. Garnier, par exemple, celui-là, grâce à Dieu, n’était pas et ne se vante pas d’avoir été républicain de la veille. Et pourtant M. Garnier est à mes yeux le type de l’inflexible honnêteté. Aussi je craindrais de passer à tes yeux pour un démocrate enragé, si je te citais les dures paroles que je l’ai entendu, avant février, lancer contre Guizot, devant ceux qui étaient les plus étroitement liés