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déclaré, qu’à aucun prix ni dans aucune circonstance, je ne m’exposerai à des dangers matériels. Cela serait chez moi de très mauvais goût. J’ose croire que je saurais sacrifier ma vie à mon idéal, si l’occasion s’en présentait ; mais ce ne serait jamais dans une lutte brutale, avec une populace ameutée ou des soldats fanatisés. D’ailleurs pour m’exposer à un danger pour ma conviction, j’exigerais une certitude telle que ma cause est la vraie et la seule vraie, que j’attendrai vainement, je crois, toute ma vie qu’une telle occasion se présente. Toujours est-il que dans aucune des circonstances périlleuses que nous avons traversées, je n’ai vu la chose assez nette, pour que j’eusse voulu m’exposer à une égratignure. L’homme de parti, qui ne voit qu’une face des choses, se jette à corps perdu sans y regarder de si près ; l’homme critique et philosophe voit si bien en toute chose le pour et le contre, qu’il est toujours tenté de rester les bras croisés, ne trouvant pas la chose assez claire pour se faire tuer.

Il est souverainement désirable pour nous tous et pour moi en particulier, que Cavaignac soit élu. Tout mon entourage, surtout la Liberté de Pensée où je suis fort engagé, s’est attaché à lui de la façon la plus exclusive, la plus compromettante même, s’il n’est pas élu. Je suis presque fâché d’avoir inséré un article, tout scientifique du reste (sur le tome II du Cosmos de M. de Humboldt) dans le dernier numéro, qui d’un bout