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naux étaient loin de nous le représenter comme aussi terrible, et en voyant sa marche rapide vers l’Occident, je ne savais si, en te suppliant de revenir, je ne te ferais pas quitter un pays où il cessait pour un autre où il allait commencer. Que ta lettre me terrifie ! Et encore qui sait si tu nous dis tout ! Voilà, chère amie, ce à quoi aboutissent ces fatales réticences que tu gardes envois moi pour ne pas m’effrayer. Maintenant, durant des semaines, je vais être dans des angoisses sans remède, puisque tes lettres elles-mêmes, j’en suis sùr, ne seront pas l’expression pure de ce qui est. Au nom du ciel, ma fille bien-aimée, au nom de notre amitié, ne me cache rien, jure-moi que tu n’adoucis pas de cruelles vérités, tu serais coupable de me le refuser, et après me l’avoir promis, de m’abuser encore. Écris-moi tous les trois ou quatre jours, quelques lignes seulement, mais n’y manque pas, à moi directement ; je t’en prie. Comment t’exprimer, ma chère fille, l’état d’esprit où je me trouve ! Te voir dans un état maladif, analogue à la contagion régnante, dans un pays infesté de cette contagion !… Fais-moi écrire, si tu ne le peux, si cela te fatigue ; mais que j’aie des nouvelles et des nouvelles vraies, durement vraies, s’il le faut, n’importe. Il est trop tard pour te dire de partir. Mais veux-tu que je parte ? je suis libre, rien ne me retient ; je t’en conjure, ne m’épargne pas. Oh ! si je venais a ne plus te revoir, Henriette bien-aimée, ma vie serait empoisonnée à tout jamais, je ne me le pardon-